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Une expérience de grossesse

Dernière mise à jour : 13 avr. 2023



L’été dernier, j’ai plongé dans le grand bain de la maternité, forte de ma perspective féministe, et de tous ses garde-fous indispensables : injonctions en veux-tu en voilà, violences obstétricales, dépression post-partum, répartition genrée des rôles parentaux … garde-fous qui m’ont à la fois servie et desservie.


La réalité c’est que malgré les désagréments physiques, le vertige de ce “premier jour du reste de ta vie” et les peurs très présentes, la grossesse a été une reconfiguration de ma tectonique des plaques. Une expérience positive, intense. Si bien que j’ai eu besoin de lâcher un peu mes garde-fous pour me mettre en route le coeur ouvert et ai parfois peiné à trouver des récits optimistes et féministes autour de la maternité.


Voici donc des bribes de ce que j’ai vécu ces derniers mois - toujours dans l’idée de déposer un témoignage situé (favorablement, c'est le moins qu'on puisse dire) et subjectif.


Le voyage


J’enfonce probablement une porte ouverte, mais être enceinte a été une transformation personnelle inattendue et inédite. Comme être embarquée malgré moi dans un long voyage avec ses étapes, ses accélérations, ses inconforts, ses magnifiques découvertes, ses nouvelles pensées et émotions. Pour la première fois j’ai changé sans chercher à changer. J’ai pris une grosse baffe de maturité et de décentrage dans la gueule, sans démarche volontariste en arrière-plan - rarissime chez moi qui cherche un peu toujours à comprendre, apprendre, évoluer #virgogroove.


Gabrielle Richard a écrit dans Faire famille autrement, « La grossesse est dans les faits une expérience du corps avant d’être une expérience genrée (…). C’est une chose tout à fait queer. Le cours normal des choses est suspendu, le corps se transforme, les organes s’élargissent (…) ». Elle partage le témoignage de Reggie, personne non-binaire assigné·e fille à la naissance “je n’avais pas l’impression d’être femme en étant enceinte, mais d’être autre chose (…) J’étais avec mon enfant dans mon ventre, j’étais deux. Je n’ai pas vécu ça comme une ode à la féminité finalement. Juste une autre expérience de conscience de moi-même”. C’est exactement comme ça que je l’ai vécu aussi, sans être moi-même identifiée comme personne non-binaire - ni très au clair sur mon identité de genre en réalité. La grossesse ne m’a sûrement pas rapprochée d’une supposée essence féminine - plutôt d’une essence extra-terrestre tant la transformation du corps est extrême (!). M’identifier comme “mère”, c’est en chemin, “meuf”, pourquoi pas, “femme”, toujours pas.


L’amour


Être enceinte m’a rapprochée des gens que j’aime. Alors oui sur certains aspects il y a eu une forme de validation sociale & familiale. Mais pas que. J’ai profité de cette période pour parler encore plus fort à mon frère, ma soeur, mes amies, pour interroger mes parents et ré-ouvrir certains dossiers. Et surtout, la grossesse a ouvert une autre dimension d’amour et de soin avec mon partenaire, une nouvelle couche d’intimité et de capacité à rêver ensemble, tout ça sur une relation déjà épaisse de 6 ans. Cette « fusion » nouvelle là où nous cultivons beaucoup d’indépendance a été une belle surprise.


Pour autant nous avons eu notre lot de discussions difficiles et notamment sur la suite et le post-partum. Être mère n’est pas un chemin évident pour moi et la peur de l’enfermement, de la charge mentale qui glisse glisse me tenaillent. J’ai eu besoin de discuter de congé parental, d’organisation, de répartition. Mon copain et moi avons la chance de pouvoir prendre tous les deux plus-ou-moins 6 mois pour trouver notre équilibre à 3 et je ne conçois pas comment ça pourrait bien se passer autrement. Le congé paternité en France c’est vraiment une blague.



La force


J’ai appris que si les sautes d’humeur sont réelles pendant la grossesse du fait de la « tempête hormonale » que le corps traverse, cette tempête peut aussi avoir des effets antidépresseurs : une personne enceinte est globalement plus résistante au stress. J’ai souvent dit ces 9 derniers mois que malgré la fatigue, les nausées, le vertige émotionnel … rien à faire, j’avais un moral d’acier, et une bonne dose de courage en plus. Je me suis parfois même sentie « dopée », avec une capacité d’action décuplée, inspirée par plein de choses. Cette sensation nouvelle que si fatigue et gaité peuvent si bien cohabiter dans mon système, alors rien ne peut m'arrêter. Ultra-solide quoi. Dans mon optimisme à toute épreuve, j’envisage le post-partum comme une chouette période où on va chiller avec notre bébé au soleil et faire des siestes, naïve que je suis.


Au-delà d’un travail personnel sur le repos (comment se mettre au repos pour de vrai et se sentir en sécurité : sans auto-jugement, FOMO, peur du déclassement social et j’en passe ?), ma grossesse a été reposante en ce sens qu’elle a constitué une espèce de trêve dans le capitalisme et le sexisme présents dans mon quotidien. Je me suis sentie avoir plus facilement accès au repos, à la douceur, à la bienveillance. Moins de pression au travail, congé maternité (sérieusement, la dernière fois que j’ai eu autant le temps de lire, c’était au collège), entourage et inconnus qui te soutiennent et te proposent d’en faire moins… En passant de l’autre côté, j’ai pu constater encore plus intimement à quel point composer avec les impératifs productifs et sexistes amenuise nos ressources, nous affaiblit. Quel soulagement et quelle sérénité que de vivre temporairement dans une bulle avec juste un peu plus de douceur et de droit au repos pour prendre des forces.


À côté de tout ça, il y a eu les sécheresses, la réforme des retraites, les violences et les mensonges d’Etat, l’hiver qui n’en était pas un. Qui nous ramènent à la question à un million d’euros : est-il raisonnable d’accueillir un enfant dans le monde d’aujourd’hui ? Je n’ai pas de réponse, juste une espèce de conviction intime : le monde est laid et le futur effrayant, mais la vie est belle. Et avant de retomber dans les griffes de l’éco-anxiété et du sentiment d’impuissance, j’ai aussi besoin de savourer cette nouvelle force, cette solidité, ce courage que je me suis reconnus ces derniers mois - "faire l'expérience de mon propre pouvoir" comme dirait la sociologue Coline Cardi. Je ne parle pas beaucoup à mon ventre (sauf pour faire des blagues. “Tu aimes les crêpes ? Tape un coup pour oui, deux coups pour non”). Pourtant il y a en gros deux messages que j’ai pu souffler à mon fils dans son monde aquatique.

“c’est fou toute cette force que tu me donnes”.

“tu verras, le paradis d’où tu viens existe aussi sur cette terre”.



 

Quelques sources :

  • 📖 Faire famille autrement, Gabrielle richard

  • 📖 Toucher la terre ferme, Julia Kerninon

  • 📻 Le pouvoir des mères, Un Podcast à Soi

  • 📻 Le cerveau pendant la grossesse, Neurosapiens.

  • 📻 Pourquoi faut-il être cis-hetéro pour faire famille ? On ne peut plus rien dire.

  • 📻 Avons-nous perdu le sens du toucher ? On ne peut plus rien dire.


Pas (encore) lu :

  • 📖 La Puissance des Mères, Fatima Ouassak

  • 📖 Le Corps d’Après, Virginie Noar Lens

  • 📖 Nouvelle mère, Cécile-Doherty Bigarra

  • 📖 Des Mains heureuses, archéologie du toucher, Claire Richard


Les musiques que j’ai écoutées :

  • Le dernier album de Pomme pendant les nausées du matin

  • L’album de November Ultra pour pleurer au coeur de l’hiver et découvrir une émotion qui m’était inconnue jusque là : la nostalgie.

  • Rosalìa pour danser en culotte.

  • Je lui dirai de Céline Dion pour percuter que j’attendais un bébé

  • Mohabbat de Arooj Aftab pour penser à ma grand-mère.

  • Mes playlists de yoga pour bouger, respirer, me reposer.


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